Il y a, pour moi, quelque chose qui touche à l’expérience mystique dans la cueillette des premières cornes d’abondance de la saison.
Déjà c’est un peu l’aboutissement d’une quête : il faut avoir su interpréter les signes, être au bon moment au bon endroit. Cela peut se produire par hasard, mais dans le monde où nous vivons le hasard nous emmène rarement en forêt et si nous le laissons faire ce n’est déjà plus vraiment du hasard.
Il faut donc être là, au bon moment au bon endroit, mais ce n’est pas suffisant. Vous êtes dans un sous-bois dont le sol n’est couvert que de terre, de feuilles mortes et de quelques branches. Vous pouvez y rester longtemps, chercher encore, passer, repasser, il faut un déclic. Il faut qu’à un moment vous identifiez un pavillon noir, un cercle légèrement luisant qui est là à quelques centimètres de vous.
Peut-êtres vous étiez-vous baisser pour admirer un autre champignon, il n’y avait pas de corne d’abondance, mais à l’instant où vous identifier la première trompette un autre pan de la réalité fait soudainement surface. Le sous-bois est maintenant couvert de terre, de feuilles mortes, de quelques branches et d’une multitudes de cornes d’abondances, 5 10, 20 peut-être 100 : où que vous portiez le regard elles sont là. En regardant où vous aviez déjà regardé, avec le même point de vue, la même lumière, vous pouvez maintenant les voir. Elles vous entourent, vous réalisez que vous avez certainement marché sur au moins l’une d’entre elles pour parvenir où vous être. Elles sont comme apparues, mais la réalité est bien plus belle encore, car elles ont toujours été là : elles ne viennent pas de se matérialiser. Vous ne les perceviez pas, mais la rencontre avec ce premier spécimen a modifié votre perception : maintenant votre conscience a accès à ces champignons alors que quelques secondes avant vous ne pouviez les distinguer.
C’est toujours pour moi une expérience fascinante, de reconnexion avec la nature, de révélation et en même temps une remise en cause de la confiance que je peux faire à mes sens un questionnement sur ce que je pourrais ne pas percevoir mais qui est pourtant là caché en pleine lumière...